Processus décisionnel au gouvernement Besoins des municipalités et besoins du gouvernement provincial 1.1 Avant de devenir vérificateur général, j’étais commissaire aux finances à la ville de Saint John. Dans ce poste, j’ai appris qu’il fallait discuter des questions et prendre les décisions lors de réunions publiques, comme l’exige la Loi sur les municipalités, une mesure législative adoptée par l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Cela avait pour effet notamment de rendre publics les rapports du personnel professionnel à l’appui des points à l’ordre du jour, ce qui assurait une certaine transparence. Le public pouvait prendre connaissance des recommandations, il pouvait suivre le débat et il pouvait voir quelles décisions finissaient par être prises. Périodiquement, l’avocat de la ville devait informer le conseil qu’une séance à huit clos sur un sujet en particulier n’était pas appropriée et que la question devait être inscrite à l’ordre du jour des réunions ouvertes au public. 1.2 En 2003, l’Assemblée législative a apporté des modifications à la Loi sur les municipalités pour clairement établir que certains sujets peuvent être discutés en l’absence du public. La liste comprend notamment les questions ayant trait aux renseignements personnels, les informations qui pourraient compromettre des négociations, les questions relatives aux biens-fonds et les litiges. Cependant, toute décision qui s’ensuit doit être prise à une réunion ouverte au public. 1.3 Au cours des huit dernières années, mon bureau a effectué un certain nombre de vérifications dans le but de comprendre le processus décisionnel suivi au gouvernement provincial. Ainsi, en 1999, nous avions examiné la décision d’abolir la corporation hospitalière extra-murale et de transférer la prestation des services aux corporations hospitalières régionales. En 1999, nous avions aussi communiqué les résultats d’une vérification visant à déterminer si la province avait suivi un processus décisionnel adéquat pour planifier la structure du projet de route reliant Fredericton et Moncton. 1.4 En 2001, nous nous sommes penchés sur la décision du gouvernement d’offrir un programme de retraite anticipée. L’estimation du coût total du programme se situait entre 64,6 et 69,9 millions de dollars. Notre objectif était d’examiner le processus décisionnel suivi et de déterminer si des mesures appropriées avaient été prises pour en arriver à la décision d’offrir le programme de retraite anticipée. 1.5 Les constatations découlant de ces vérifications montrent que la rigueur exigée des municipalités par le gouvernement provincial n’est pas nécessairement reportée au domaine provincial. Le gouvernement provincial a un processus décisionnel 1.6 Au moment d’effectuer nos vérifications sur le processus décisionnel, nous connaissions le Manuel des procédures : Présentation des documents du Conseil exécutif du gouvernement. Dans l’introduction du manuel, on peut y lire que : « La procédure énoncée vise à assurer que les décisions du Conseil exécutif, du Comité des politiques et des priorités et du Conseil de gestion soient prises à la lumière de la connaissance la plus complète tant des circonstances qui commandent la prise de toute décision que de l’effet des mesures adoptées. » 1.7 Le manuel ajoute ceci : « Le mémoire au Conseil exécutif est un exposé précis des faits et des mesures recommandées qui sert de fondement aux décisions du gouvernement. […] Il s’agit d’un examen succinct, mais complet de la question, des mesures proposées, de l’effet de ces mesures, des solutions de rechange, des considérations financières qui découleront de ces mesures, des consultations internes et externes qui ont été menées et de la source de l’autorité qui permet au gouvernement de prendre les mesures recommandées. » 1.8 Voilà en réalité la rigueur que nous recherchions. Donc, à chaque vérification, nous tentions de déterminer si le manuel des procédures avait été suivi. Au cours de notre travail sur la décision concernant l’Hôpital extra-mural, on nous avait dit qu’aucun document n’avait été présenté au Conseil de gestion, contrairement aux lignes directrices prescrites. Au cours de notre travail sur le programme de retraite anticipée, le ministère des Finances nous avait informés que le processus établi dans le manuel avait été suivi pour prendre la décision finale, mais nous n’avons pas pu en obtenir un exemplaire, ce que j’avais mentionné dans mon rapport annuel de 2001. Secret ministériel 1.9 Le refus de fournir à mon bureau un exemplaire du document s’appuie sur le concept du secret ministériel, selon le modèle de gouvernement fondé sur Westminster. Dans son renvoi aux mémoires présentés au Conseil exécutif, le manuel des procédures précise ceci : « C’est un document confidentiel et sa distribution est strictement contrôlée. Il doit toujours être rédigé à l’interne par le personnel du ministère ou de l’organisme et le texte ne doit jamais être remis à une personne qui ne fait pas partie du gouvernement. » (Les mots sont en caractères gras dans le manuel des procédures.) 1.10 Mais pourquoi un tel secret? Pourquoi des limites aussi strictes devraient-elles être imposées sur les activités publiques? Pourquoi un citoyen ne peut-il pas obtenir la justification à l’appui de la décision de dépenser plus de 60 millions de dollars pour un programme de retraite anticipée? À qui appartient cet argent? Pour qui le gouvernement travaille-t-il? 1.11 Le manuel des procédures reconnaît que « Le mémoire constitue le relevé rétrospectif de l’information que possédait le gouvernement lorsqu’une décision particulière a été prise. […] À long terme, c’est une source de référence pour les historiens qui étudient les décisions du gouvernement à une époque donnée. » Ces mémoires sont protégés en vertu de la Loi sur les archives pour une période de 20 ans. 1.12 Cela signifie qu’il faudra attendre encore 15 ans avant que le public puisse prendre connaissance de l’information que les ministres du Cabinet ont reçue pour justifier la dépense d’une somme de plus de 60 millions de dollars pour un programme de retraite anticipée. Il peut être acceptable de restreindre l’accès à l’information durant 20 ans sur des questions qui concernent le personnel, les avis juridiques ou les négociations syndicales (de façon similaire aux exclusions accordées aux municipalités), mais comment justifier que l’on cache au public une analyse financière de base alors que c’est son argent qui est dépensé? 1.13 Je réclame une plus grande transparence du processus décisionnel au gouvernement. Une transparence qui permettra à l’Assemblée législative et à la population de voir la diligence et le soin avec lesquels les décisions sont prises avec son argent. Une transparence qui reflète l’esprit des mesures législatives en place pour les administrations locales de la province. 1.14 Tant et aussi longtemps que le secret prévaudra, l’incertitude entourera le processus suivi dans la prise des décisions. Eric Kierans, un ancien ministre dans le Cabinet fédéral, avait ceci à dire dans sa biographie au sujet de la prise de décisions au palier fédéral : « De plus, le processus décisionnel ne constituait pas une progression contrôlée et efficace, mais plutôt une bousculade improvisée presque toujours guidée par la question de savoir comment la décision allait paraître en juin 1972, la date présumée des prochaines élections ». [Traduction.] Étapes clés du processus décisionnel 1.15 Dans notre travail sur le processus décisionnel, nous avons mis au point les étapes clés qui devraient être suivies lorsque les gouvernements prennent des décisions. Nous sommes d’avis qu’il est impératif de suivre un processus et de faire preuve de diligence lorsque c’est l’argent des contribuables qui est dépensé. 1.16 Nous avons souligné l’importance de clairement comprendre le problème à résoudre. On doit s’assurer de ne pas proposer une solution avant que le problème ne soit soigneusement cerné et analysé et que tous les joueurs clés en conviennent. Si le problème n’est pas clairement déterminé, la décision qui s’ensuit peut être mal inspirée. 1.17 Une fois que le problème est déterminé, un examen de toutes les solutions possibles devrait être fait. Il faut prévoir le temps nécessaire et que les personnes clés interviennent de telle sorte que la recherche de différentes solutions soit suffisamment étendue. Si des solutions de rechange ne sont pas envisagées, le succès du processus est limité et il se peut qu’on passe à côté de possibilités intéressantes. 1.18 L’étape suivante du processus décisionnel est la sélection d’une solution proposée pour résoudre le problème. L’analyse et l’évaluation des solutions de rechange doivent faire appel au jugement, à l’expérience et à l’intuition. C’est l’occasion de s’assurer que tous les faits pertinents sont communiqués aux décisionnaires afin que la meilleure décision soit prise. C’est à cette étape qu’une solution sera déterminée comme étant la ligne de conduite préférée, solution qui sera appuyée par une analyse quantitative et qualitative. 1.19 La mesure dans laquelle le gouvernement suit un tel processus n’est pas connue en raison de la convention du secret ministériel. J’incite le gouvernement à suivre un processus rigoureux d’une manière transparente. Le rôle de l’Assemblée législative 1.20 L’Assemblée législative a la responsabilité de demander des comptes au gouvernement. Lorsque de nouveaux programmes sont annoncés, de nouvelles mesures législatives sont proposées ou de nouvelles politiques sont envisagées, les députés de l’Assemblée législative devraient poser des questions telles que celles-ci : • Quel est le problème? • De quelles preuves dispose-t-on pour montrer l’existence du problème? • Quelles autres solutions sont envisagées? • Et pourquoi la solution proposée est-elle meilleure que les autres? 1.21 Je crois fermement que les citoyens seront mieux servis si une certaine discipline et une certaine ouverture entourent la prise de décisions et que les députés de l’Assemblée législative posent des questions exigeantes de façon à demander des comptes au gouvernement. Gérance et reddition de comptes 1.22 J’ai d’autres observations à formuler sur les huit dernières années, et j’en fais part au chapitre 2. Ces observations sont fondées sur les constatations d’un certain nombre de vérifications qui ont fait ressortir les mêmes lacunes à maintes reprises. Je demande au gouvernement de prendre des mesures pour remédier à ces lacunes en apportant des améliorations dans quatre domaines clés : • établissement d’objectifs et rapport des résultats; • respect des mesures législatives; • évaluation des programmes; • surveillance adéquate des organismes de la Couronne. 1.23 L’Assemblée législative, par l’entremise du Comité des comptes publics et du Comité des corporations de la Couronne, est chargée de rendre le gouvernement responsable de ses actes. Au chapitre 2, je suggère des moyens de le faire dans chacun de quatre domaines mentionnés. J’offre aussi des suggestions visant à renforcer ces comités et à les rendre plus efficaces dans leurs rôles de surveillance. Évaluation foncière à des fins fiscales 1.24 Durant l’année écoulée, mon bureau a travaillé sur un certain nombre de vérifications. L’une de ces vérifications est maintenant terminée, et j’ai le plaisir de l’inclure dans mon dernier rapport. L’objectif de la vérification était de déterminer si Services Nouveau- Brunswick respecte la Loi sur l’évaluation en évaluant les biens réels à leur « valeur réelle et exacte ». Nous avons décidé d’effectuer une vérification du service d’évaluation en raison de l’importance de cette fonction pour l’Assemblée législative et le public en général. S’élevant à 327 millions de dollars (budget principal de 2004-2005), les recettes provenant de l’impôt foncier viennent au troisième rang en importance comme source de recettes provinciales; les recettes provenant de l’impôt foncier, qui se chiffrent à 439 millions de dollars (2005 Assessment Annual Levy Report), sont la plus importante source de financement des administrations locales. 1.25 À l’issue de notre travail, nous avons conclu que l’interprétation par Services Nouveau-Brunswick de ce qu’est la « valeur réelle et exacte » est conforme aux pratiques généralement reconnues. Nous avons aussi constaté que, tandis que des directives et des procédures bien élaborées guident le processus d’évaluation, certaines pratiques donnent lieu à des évaluations qui sont inférieures à la valeur réelle et exacte des biens réels. Par exemple, les maisons de luxe, les propriétés riveraines, les immeubles d’habitation et les biens réels commerciaux et industriels dans certaines régions de la province sont systématiquement sous-évalués. Les résultats de notre travail dans ce domaine sont présentés au chapitre 3. Vérifications en cours 1.26 Mon bureau travaille actuellement sur cinq autres vérifications. Les résultats de ces vérifications devraient être compris dans un rapport qui sera publié plus tard cette année. 1.27 Nous menons actuellement à la Société d’énergie du Nouveau-Brunswick (Énergie NB) une vérification dont l’objectif est de voir si les structures et les processus de gouvernance en vigueur à Énergie NB établissent un cadre de gouvernance efficace. Nous examinerons le processus de nomination des membres au conseil d’administration et la mesure dans laquelle les mandats, les missions et les objectifs sont clairement documentés et acceptés par le gouvernement provincial et le conseil d’Énergie NB. D’autres domaines qui nous intéressent sont, notamment, les conditions dans lesquelles Énergie NB devrait consulter le gouvernement quant à l’orientation à prendre et l’existence d’un groupe détaillé de politiques de haut niveau basées sur le risque que maintient le conseil d’Énergie NB. Si nous avons entrepris ce travail, c’est en raison du grand intérêt du public à l’égard d’Énergie NB ainsi que de sa gouvernance et de ses pratiques en matière de prise de décisions. Une telle vérification nous donnera aussi la possibilité d’évaluer les progrès du gouvernement dans sa mise en œuvre de la recommandation suivante du rapport Grant Thornton de 1999 : Nous recommandons qu’une priorité élevée soit accordée à la réévaluation de la structure de gouvernance entre le gouvernement, le conseil et la direction d’Énergie NB. Les changements qui seront recommandés à l’issue de cette réévaluation devraient être promptement mis en œuvre. [Traduction.] 1.28 Une vérification au ministère des Services familiaux et communautaires a comme objectif de déterminer si le ministère a des méthodes appropriées pour assurer le respect des mesures législatives et des normes provinciales visant les foyers de soins spéciaux et les résidences communautaires. Il existe dans la province 465 foyers de soins spéciaux et 60 résidences communautaires qui fournissent des services de soins personnels à des adultes qui ont des limites fonctionnelles. Ces installations comptent environ 4 100 lits, et les subventions annuelles accordées aux pensionnaires se chiffrent au total à 66 millions de dollars. 1.29 Au ministère de l’Éducation, nous examinons les mécanismes et les méthodes en vigueur pour assurer un entretien adéquat des installations scolaires. La province compte 338 écoles qui accueillent 126 000 élèves et éducateurs. On estime que le coût de remplacement de ces bâtiments est de 2,3 milliards de dollars. 1.30 Le ministère de la Santé et du Mieux-être est chargé de l’administration du Plan de médicaments sur ordonnance. Ce programme, doté d’un budget de 132 millions de dollars en 2004-2005, fournit des médicaments à certains groupes cibles, tels que les pensionnaires des foyers de soins et les résidents âgés de 65 ans et plus qui reçoivent des prestations de Sécurité de la vieillesse ou le Supplément de revenu garanti. Nous effectuons une vérification de ce programme afin d’évaluer si des procédures sont en place pour gérer le rendement du programme et assurer la gestion des ressources en tenant compte du rapport coût-efficacité. 1.31 Enfin, nous effectuons une vérification au ministère de l’Environnement et des Gouvernements locaux pour voir si le ministère respecte les mesures législatives en ce qui concerne les prélèvements d’impôt foncier exigés des districts de services locaux. Changements nécessaires à la Loi sur le vérificateur général 1.32 Au Nouveau-Brunswick, la Loi sur le vérificateur général accorde au gouvernement le pouvoir de nommer le vérificateur général. De plus, le gouvernement fixe le budget du Bureau du vérificateur général. Donc, l’entité qui fait l’objet de la vérification peut prendre des décisions clés sur la personne qu’elle aimerait avoir comme vérificateur et sur les fonds qui devraient lui être affectés pour s’acquitter de ce travail. Cela n’est pas correct. En tant que fonctionnaire de l’Assemblée législative, le vérificateur général fait rapport à l’Assemblée législative sur les comptes publics et sur toute autre question qu’il considère importante. Pour assurer l’indépendance d’une telle fonction, l’Assemblée législative elle- même devrait intervenir directement dans les questions entourant le poste ou le bureau du vérificateur général. Des changements doivent être apportés à la Loi sur le vérificateur général pour faire en sorte que l’Assemblée législative et le public puissent avoir une confiance totale dans le bureau et l’important rôle qu’il a à jouer. J’ai souligné cette situation dans mes rapports annuels de 2003 et de 2004, et je formule la même observation au terme de mon mandat. Remerciements 1.33 La mission du Bureau du vérificateur général est la suivante : « Nous favorisons l'obligation redditionnelle en fournissant de l'information objective à la population du Nouveau-Brunswick, par l'entremise de l'Assemblée législative. » Grâce à notre travail et aux rapports que nous rédigeons, nous fournissons de l’information objective, mais l’essence de ces efforts est que « nous favorisons l’obligation redditionnelle ». Nous voulons que les gouvernements rendent des comptes, et nous voulons que l’Assemblée législative tienne le gouvernement responsable de ses actes. 1.34 Mon personnel a accompli une grande quantité de travail très valable à l’appui de cette mission, et je lui en suis très reconnaissant. J’espère que le travail que nous avons fait ensemble a été et continuera à être de valeur pour le gouvernement, l’Assemblée législative et la population du Nouveau-Brunswick. Le vérificateur général, Daryl C. Wilson, f.c.a.